Les Amis de Pimienta
(Association loi 1901)
 
Buste de l`auteur
 
       Au sculpteur Pimienta
 
Mon Maître, mon ami, vieux sculpteur oublié,
Lentement, je reviens par le sable des grèves
Poser mon chevalet face à la Tour de Trèves
Se mirant dans l’eau morte, aux reflets de juillet.
 
Un immense matin de hautains peupliers
Frémit dans l’air calme au rythme bleu des rêves,
Gonflé d’intense vie où s’exsudent les sèves,
Tandis qu’au grand sommeil, vous voici délié.
 
Je sais que vous sculptez désormais les nuages,
Que le vent de galerne expirant aux rivages
Murmure un long poème au frisson des roseaux,
 
Que du tombeau ressurgissent tous les poètes,
Comme un bouquet dansant par l’aile des mouettes,
Dans l’âcre odeur du fleuve, au temps des basses eaux.

Gérard Brecq, Cantilène à la Loire, Cheminements, « À l’Orée des mots », 2002, p. 116.
Raison sociale de l’association :
 « - Réunir artistes, spécialistes, amateurs d’art, de tous milieux, pour remettre en lumière un sculpteur du XXe siècle, amis des plus grands – Rodin, Maillol –, qui fut aussi philosophe et poète ;
- Diffuser par tous moyens de communication son œuvre double ;
- Aider à répandre la connaissance d’un créateur et d’un penseur exceptionnel, et l’intérêt pour la sculpture, art premier et majeur des hommes. »

 

Biographie


Un talent précoce et remarqué
 

Gustave PIMIENTA est né à Paris en 1888 d'une mère juive alsacienne et d'un père espagnol venu de l'Oranais. Les sinuosités de la généalogie l'apparentent peut-être à l'éphémère gouverneur de la Nouvelle-Grenade en 1782, Don Juan de Torrezal Días de Pimienta, un flibustier repenti. C'est en flibustier que le jeune Gustave aborde la scolarité. Regimbant à l'idée d'être façonné, il met un point d'honneur à façonner lui-même les physionomies. Son regard dévore le monde. Il entre en sculpture à l'âge de huit ans, comme on se met à table. Son insatiable curiosité le conduit à hanter sous tout prétexte la bibliothèque de son oncle, un riche amateur d'art qui régale les impressionnistes. L'enfant appellera ces derniers ses « petits frères ». Renvoyé du Lycée Carnot, Pimienta se grandit par les livres pour l'esprit et, pour la manière, par la fréquentation assidue du Musée du Louvre, surtout des collections égyptiennes et grecques. Son style classique-contemporain y consolidera ses assises. Son premier exploit : figurer à 11 ans au Salon d'Automne de 1899, où il éveille l'intérêt d'Étienne Avenard avec un masque de lui-même et un nu (voir Étienne Avenard, Art et Décoration, Paris, 1899, vol. 26, pp. 155-156). Il exécute son premier buste en argile à 12 ans et demi, dans l'atelier du sculpteur Alexandre Charpentier, rue Boileau, à Auteuil. Nous sommes en 1900. Charpentier vient de recevoir le Grand Prix de l'Exposition universelle et, sous les yeux ébahis du peintre et sculpteur Paterne Berrichon, entré par hasard dans l'atelier du Maître, il déclare au « môme » qu'il n'a de conseils à recevoir ni de lui ni des autres, et qu'il est tout bonnement « né sculpteur ».


Autoportrait jeune Autoportrait (bronze)

 

Après un bref séjour à quatorze ans à l'Académie Julian, dans la classe de Raoul Verdet, il entre à l'École des Beaux-Arts. Louis-Ernest Barrias le distingue et le pousse à monter en loge pour le Concours de Rome. Peu soucieux de se construire une respectabilité momifiante, Pimienta saborde exprès sa contribution. Les titres de gloire ne lui sont rien. Il veut seulement être vu. Dans ce dessein, il expose au Salon des Artistes Français de 1905, puis au Salon d'Automne 1906, où sa Tête de vieillard et sa Marchande au panier, entre autres, font sensation par la vigueur flamboyante du trait. À 18 ans, il accède au Sociétariat, aidant au placement des 'uvres, et se lie avec Georges Braque, Henri Matisse et Marie Laurencin. Le sculpteur Raymond Duchamp-Villon tombe amoureux d'un petit nu de femme assise qu'il compare à un Phidias et qu'il vient mouler pour l'exemple. Une version en bronze est montrée au Salon d'Automne 1909, ainsi qu'un premier autoportrait impressionnant de maîtrise et de profondeur. C'est à cette époque qu'une amitié féconde se noue entre Pimienta et Edmond Pottier, conservateur des Antiquités orientales du Musée du Louvre. Autre amitié, tout aussi féconde, celle qui l'unit au docteur Louis Brocq, médecin à l'hôpital Saint-Louis. Brocq ne se contente pas d'acheter des sculptures à Pimienta, il lui permet aussi de visiter plus à fond les corridors de l'anatomie humaine en lui ouvrant les portes de son hôpital.



Marchande au panier Marchande au panier  (plâtre)

 

Aux influences égyptienne et grecque, Pimienta ajoute bientôt la gothique. Il demande en effet à être affecté à Chartres pour son service militaire. C'est en compagnie de Henri Matisse et d'Albert Marquet, président de la section « Sculpture » du Salon, qu'il se familiarise avec l'hiératisme symbolique des sculpteurs anonymes de la foi. L'avant-guerre est une période faste pour Pimienta, qui évolue sans déparer au milieu des grands caciques, déjà classiques, de la modernité expérimentale, René Piot, Édouard Vuillard, Paul Signac, Georges Rouault ou encore Pierre Bonnard.


 



Affirmation d'un style à contre-courant
 

Vient la guerre. La Grande Guerre ne fut point grande mais les hommes qui la firent le furent parfois. Pimienta est de ceux-là. Entre autres hauts faits, signalons son initiative de protéger de balles de coton réquisitionnées le porche et la façade de la collégiale Saint-Thiébaut de Thann. Il renouvelait par là le geste de Michel-Ange vis-à-vis du campanile de San-Miniato, lors du siège de Florence par les Impériaux en 1529. Pimienta se fit verser dans l'aviation en 1917. En août 1918, un accident en vol le blesse à la main gauche. La gangrène s'en mêle et il doit être amputé de quatre doigts. Comme il n'est pas dans sa nature de céder au découragement, il entreprend de se rééduquer, le pouce restant assumant à lui tout seul la charge du modelage, et dès 1919, il peut exposer au Salon de la Nationale un buste de sa Mère. Dans le même temps, il impose à son corps un exercice quotidien. Les frères Fratellini, amis de longue date, lui apprennent le saut périlleux. Le talent figuratif de Pimienta, parvenu à son plein développement, continue de trouver son public, en dépit de l'esbroufe iconoclaste des surréalistes. Son buste Mlle Zina est l''uvre la plus remarquée du Salon de 1920.

 

Mlle Zina Mlle Zina (plâtre)

 

 

La fibre artistique n'est pas la seule à vibrer chez ce touche-à-tout qui aime à dire que « l'art est unique dans sa diversité ». Sa fibre scientifique, titillée par les techniques anciennes de polychromie, ne demande qu'à s'éveiller. Il suffit d'une rencontre pour les faire entrer toutes deux en résonance, comme une harpe éolienne harmonise des vents contraires. L'homme providentiel est le mathématicien et physicien Charles Henry, déchiffreur des carnets de Léonard de Vinci, directeur du laboratoire de Physiologie des Sensations à la Sorbonne. Le physicien et le sculpteur s'entendent sur l'essentiel : « Il n'y a ni science ni art, mais une seule et même chose : la vie. » Henry installe Pimienta à la Sorbonne, dans un atelier aménagé sous son laboratoire. Avec la complicité de l'artiste, il reprend ses travaux sur la peinture à l'encaustique et en retrouve la formule. La passion de Pimienta pour les sciences ne se démentira pas et connaîtra même un regain à l'occasion de sa rencontre avec le chimiste Jacques Tréfouël, l'inventeur d'un agent antibactérien très efficace, le sulfamide. La contribution scientifique de Pimienta aux travaux de Tréfouël et de son équipe est inconnue du public spécialisé pour cette seule raison que l'intéressé a tout fait pour la masquer, n'étant pas issu du sérail. D'après Régis Effray, qui fut un familier du Maître, il s'agirait d'une formule brevetable dont Tréfouël, devenu entretemps directeur de l'Institut Pasteur, avait promis de mentionner l'origine. Les archives de l'Institut devraient nous en dire plus long là-dessus.
 

Les années 1920 et 1930 sont des années de production intense, entrecoupée de voyages. Outre la France, celle des musées et des cathédrales, il parcourt l'Afrique du Nord, l'Espagne, la Hollande et l'Italie, flanqué, pour cette dernière, de son ami et admirateur Aristide Maillol. Les chefs-d''uvre s'enchaînent : un buste de lui-même (1926), dont le modelé puissant et précis rappelle la statuaire romaine, la svelte Rébecca, au Salon d'Automne 1930, la charnelle Danseuse gitane, dans ses versions desnuda (1933) et vestida (1935), le fervent Orphée (1939), commande de l'État. Arrêtons-nous sur cette dernière 'uvre. Un chamelier mauritanien d'Assa fournit le modèle. Pimienta le rencontra au Maroc, à Goulimine, après quelques tribulations. La commande fut transportée à New York pour l'Exposition Internationale de 1939. Pour cause de guerre, elle ne put être rapatriée et dut subir plusieurs déménagements pendant les six années où elle demeura outre-Atlantique. De retour en France, Pimienta dut la refaire, tant son état s'était dégradé. Un exemplaire entra à la National Gallery de Washington en 1969. La France conserve la tête en cire originale.




Autoportrait en buste  Autoportrait en buste (bronze), 1926.



 

Vieux Comédien Vieux Comédien (plâtre peint), 1928.

 

 

Pimienta vit mal de son art, sautant d'un atelier à l'autre, mais déploie une activité fébrile sur plusieurs fronts. En 1934, il publie chez Floury ses premiers écrits : Réflexions sur l'Art, dans une prose à l'eau-forte, ramassée et mordante. En 1939, il lance une revue éclectique et impertinente : Messages, rebaptisée plus tard La Tradition Vivante. Malgré ses prises de position férocement antihitlériennes, ses origines juives par sa mère et son mariage avec Rosa Lipschutz, le modèle de Rébecca, Pimienta n'est pas inquiété sous l'Occupation.


 



Conversion et retrait (retraite ?)
 

Sur les plans spirituel et matériel, un glissement décisif s'opère dans la deuxième moitié des années 1940. Pimienta s'associe à la restauration par Dom Paul Grammont de la présence bénédictine à l'abbaye du Bec-Hellouin. Le Père abbé et le sculpteur entretiendront une correspondance exaltée, mêlant art et mysticisme. Même diminué physiquement, après une chute dans son atelier du quai Saint-Michel en 1948, Pimienta veillera à venir régulièrement au Bec saluer ses amis moines, dont le futur Prieur du Mont-Saint-Michel, le Père Bruno de Senneville, et surveiller les activités de l'atelier de céramique. À partir de 1947, peut-être pour se mettre en conformité avec la règle bénédictine qui impose aux moines de ne pas signer leurs 'uvres, « l'humble imagier » se retire peu à peu des circuits mondains et officiels de l'art et se place sous la protection d'un richissime mécène espagnol, qui posera pour lui, la Marquise Germaine de Narros. Sa quête désintéressée du « galbe éternel » se partage dès lors entre le palais Narros, à Zarauz, dans le Guipúzcoa, et son atelier de Chênehutte-les-Tuffeaux, sur les bords de la Loire, près de Saumur.

Le mécénat exclusif de la Marquise ne stérilise pas le génie de Pimienta. Il lui donne au contraire une acuité nouvelle, presque une virginité, qui se caractérise par la recherche plus systématique d'une pureté de ligne à la surface des visages d'enfants, où l'âme court toute nue. Au sérieux intériorisé et un brin boudeur de Jenny (1945) succède l'émerveillement céleste de Michèle (1949), de Begoñita (1952) et de la Jeune Aragonaise (1962). Quand le Credo du Beau exprimé par l'enfance ne le captive pas, Pimienta cherche à saisir l'aridité contemplative de la mystique dans un drapé-monolithe sévère (Sainte-Thérèse, 1952) ou l'empoignade, terre contre ciel, du Voleur de feu et de l'aigle olympien (Prométhée, 1962). L'écriture l'occupe toujours autant. C'est par là qu'il continue d'effectuer des sauts périlleux, réfractaire aux courants esthétiques à la mode (L'Art, 1949 ; Un dernier mot sur l'art, 1958 ; Évidences, 1965). Il s'astreint à des exercices poétiques quotidiens. La rime est de rigueur, car elle est l'échelle de Jacob du sens caché des choses



Jenny Marbre Jenny (marbre), 1945.
 


Michèle Michèle (plâtre), 1949.



Jeune Aragonaise Jeune Aragonaise (plâtre), 1962.



Ste Thérèse Sainte -Thérèse (plâtre), 1952.

 

Dans une exceptionnelle et dernière interview accordée à Charles Gilbert (Courrier de l'Ouest, janvier 1971), Gustave Pimienta se livre. Il a alors 83 ans. Voici quelques-unes de ces réflexions :
 
« J'ai 83 ans et je commence mon apprentissage. Je n'ai pas de matériau préféré parce que, pour moi, la vie doit entrer dans la matière et c'est là le rôle de l'artiste : saisir la vie et la faire rentrer dans la matière. C'est ainsi que j'ai fait beaucoup de sculpture d'enfants. »
 
« Exister m'embête, vivre m'amuse. »
 
« Une image méditée l'emporte de loin sur les incohérences de l'improvisation. »
 
« Il faut croire en l'homme car l'homme, c'est la vérité. »
 
 

Gustave Pimienta meurt en 1982. Il aura sculpté jusqu'en 1970. La dernière oeuvre de cet auguste vieillard que l'on vient consulter comme un oracle est une tête d'enfant (Le Petit Chinois) qui vous regarde droit dans les yeux, à la façon du Scribe accroupi du Louvre, pour un ultime examen de conscience. Peut-être est-ce là le vrai visage du Juge suprême, à la fin des fins ?
 


Nota Bene : Ce texte – à quelques détails près – fut publié sur Wikipédia, puis retiré par un administrateur scrupuleux pour crime de ressemblance avec ma contribution écrite à la série « L'inconnu des archives » de l'émission La Fabrique de l'histoire sur France Culture. Cette contribution, comme je m'en explique ailleurs sur ce site (rubrique « Actualités »), était le brouillon de l'article Wikipédia. N'étant pas parvenu à convaincre Wikipédia et France Culture de la paternité unique des deux textes (j'invite les uns et les autres à fouiller les entrailles de mon ordinateur pour en extraire la preuve irréfragable), j'en publie la version retoquée et dûment signée sur le site des Amis. – Bertrand Rouziès-Léonardi.

 
 



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